i'm what's wrongTu craches du sang. Un léger filet. Si fin. Ta lèvre s’étant déchirée sur à peine quelques millimètres.
Un si petit filet. Quelques gouttes sur le parquet. Là, à coté de tes doigts. Tes doigts d’enfant. Ton visage, si souvent tuméfié a bien trop l’habitude des coups qui pleuvent. Pourtant, tes yeux s’humidifient. Ils n’ont pas l’habitude, eux. Pas autant que ta peau. Pas autant que tes os. «
Mauviette » T’entends sa voix, mais tu n’oses pas bouger.
T’es qu’un enfant. Un sale gamin sur les joues duquel glissent des perles d’eau salée. T’entends ses pleurs étouffés. Là, quelque part, derrière toi, derrière lui. Les pleurs d’une mère meurtrie et affaiblie. Une mère qui voudrait s'interposer mais qui n'ose pas. Qui n'ose plus. Elle a essuyé bien trop de coups. Elle est couverte par bien trop de bleus. Alors elle pleure. Parce qu'elle ne sait rien faire d'autre. Et elle regarde, au premières loges. Elle assiste à l’humiliation que subit son gamin. Parfois, tu te demandes si elle avait un jour voulu te voir venir au monde. Mais, tu sais que non. Tu n’as été qu’une erreur. Un oubli. Un préservatif qui craque ou qu’on ne met pas. Parce qu’on n’a pas le temps. Parce que sous l’effet de l’alcool, on n’y pense pas.
T’es qu’une erreur. Un punchingball. Celui sur lequel on déverse colère et regret. Parce que c’est de ta faute. T’es la bouche en plus à nourrir. La bouche de trop. Celui à cause de qui les services sociaux sont déjà venus à la maison. Et tu sais pas pourquoi mais papa ne les a pas laissé t’amener.
Putain de fierté. Ils veulent pas de toi, mais t’es à eux. A eux, et à personne d’autre. Une marchandise. Leur marchandise. Celui sur lequel il écrase ses clopes. Celui qui prend le trop plein d’humeur. Celui qui prend les coups quand elle ne le supporte plus. Le gamin.
Sombre merde aux épaisses mèches brunes. Un regard innocent qui a déjà tant vu, tant entendu, tant subi…
➴➴➴➴
Tu pleures. Plus que tu n’as jamais pleuré. Tu sais pourquoi cette dame t’emmène avec elle. Tu sais que la maitresse a vu tes bleus, jour après jour. Les cicatrices sur tes bras, les marques de brulure. Mais t’es qu’un gamin, et les enfants ont besoin de leur maman. Les larmes glissent sur ta peau, sur tes joues de pré-adolescent. Même pas dix ans. Tu vois ta mère, sur le pas de la porte de la cuisine, une cigarette dans une main, l’autre contre sa hanche, comme espérant que cela lui donnerait un minimum d’allure. Mais, elle ne trompe personne. Les marques de coups sont visibles sur sa peau blafarde, tout comme les cernes, et cette blessure de la veille, là, sur sa lèvre inférieure. Elle te regarde, d’un regard vide. Ce même regard qu’elle avait toujours quand elle posait les yeux sur toi. Tu ne représentais, pour elle, rien d’autre qu’une charge, si ce n’est celui qui essuyait les coups quand elle n’en avait plus la force. Celui qui essuyait ses coups, à elle.
Ses reproches. Celui qui absorbait toute sa colère, celui sur lequel se déversait sa haine. Mais, elle restait ta mère. Celle qui te nourrissait malgré tout, quand elle y pensait. Celle qui payait tes vêtements, et les rapiéçait. Elle était la seule mère que tu avais eue, la seule que t'aurais, parce que tu étais trop grand pour les familles d’accueil.
Trop instable aussi. Mais bientôt, la porte se referme.
Bientôt, t'es plus là. Et jamais, tu ne reviendras.
➴➴➴➴
«
Et alors, tu vas faire quoi, le gringalet ? » T’esquisses un léger sourire. Un sourire en coin. A peine perceptible. C’est vrai, t’as pas son physique. T’es rien qu’un gringalet. Un sale gamin qui ne trouve sa place nulle part.
Trimballé de foyer en foyer. Incapable de trouver ce que c’est, qu’un foyer. Celui dont on trouve la définition dans les dictionnaires. T’es pas bien grand. T’es loin d’être musclé. Tu manges pas assez. T’as jamais eu assez à manger. Tu dors pas. Tu traines la rue, fugueur sans attache.
Insomniaque. Mais ça t’empêche pas de lui écraser ton poing dans la gueule. Parce que ça, tu sais le faire. T’as jamais eu assez à manger, mais t’as été nourri de ça.
Des coups. De la violence. Alors, tu le frappes. En plein visage. Et quand ses mains viennent se placer sur son nez brisé, triste réflexe, alors tu frappes à nouveau. Encore, et encore.
Tu frappes. Tu fonds sur lui comme ton père fondait sur toi. Et une fois de plus, tu comprends. Tu comprends le bien que cela fait. De frapper. De laisser ce flux de colère se déverser. De laisser ce ruisseau couler, sans ne plus chercher à le contenir…
➴➴➴➴
T’as la gueule couverte de bleus, le corps meurtri sous ton pull trop grand. T’as des cernes d’un bleu flirtant avec les ombres, témoignage de ta fugue de la veille, de ta nuit au poste.
Gamin des rues. T’es dans le système depuis longtemps, depuis bien trop longtemps. T’es un paumé, un paquet qu'on trimballe. Un ingérable, une balle qu'on se renvoi. Le gamin dont personne ne veut.
Le violent. Le perturbé.
Celui qui cogne avant de réfléchir. Celui qui démarre au quart de tour. Le gamin sans avenir.
Déscolarisé. T’adhères à rien, à aucun projet.
Tu fugues. Tu fumes. Tu te colles des seringues dans les bras. Tu bois.
Comme tes parents avant toi. Tu te bats. Comme ton père avant toi. Tu passes plus de nuits au poste que dans ton lit, mais de lit t'en n'a pas vraiment. T'es nulle part chez toi. Tu restes jamais longtemps. Où que tu sois, c'est jamais plus que pour quelques mois. Le temps qu'ils se lassent de toi. Ils te foutent vite à la porte quand ils comprennent. Quand ils voient qui tu es, et toutes cette rage qui coule dans tes veines.
T’es une cause perdue. Alors, ils te foutent dehors. Ils t’envoient dans un autre foyer. Séjour de rupture sur séjour de rupture, mais t’adhères pas, jamais. Alors, ils donnent ta place, et tu continues de trainer d’un foyer à l’autre.
Dans la rue. Dans les postes de police. Tu réintègres le système, t’en joues. Parce que c’est devenu un jeu. Celui du chat et de la souris.
T’es plus un gamin. T'en as jamais été un. ➴➴➴➴
«
Parce que tu crois que t’as le choix ?! » Ils rient. Sombre crétins. Et toi, tu craches du sang. A croire que tu n’es bon qu’à ça, que tu ne sais faire que ça. Essuyer les coups et te vider de ce liquide si précieux dont tu n’as que faire.
T’aimerais qu’ils en finissent. C’est tout ce que t’as toujours voulu. Depuis le premier jour. Depuis la toute première fois. La toute première pluie de coups tombés sur toi. Tout ce que tu voulais, c’était que la douleur cesse. Que ton sang coule assez pour que tes blessures jamais ne se referment. Les coups qui s’abattent sur toi.
Comme une malédiction. Comme une punition que tu penses mériter. Pour le simple fait d’être né. Alors non, tu sais que tu n’as pas le choix. Tu n’as jamais eu le choix.
Pas toi. Les autres avaient toujours choisi pour toi. Tu avais toujours subi. Suivi le chemin qui semblait t’être tout tracé. Et tu savais qu’aujourd’hui ne dérogerait pas à la règle. On ne vit pas dans la rue sans en subir les conséquences.
T’es de ceux qui subissent. De ceux qu’on remplace. Alors t’acceptes. Tu prends le paquet qu’on te tend. Et ce soir, comme tous les autres soirs, tu ferais ce qu’on te demande, tu donnerais ces petits cachets en échange d’une rondelette somme d’argent. Putain de gosses de riche qui se démontent la tronche avec une mauvaise came. Une came hors de prix dont tu ne tirais jamais un grand bénéfice. Quelques verres dans des soirées branchées. Quelques billets glissés dans ta poche.
Contact humain. T'es celui qu'ils attendent. Celui dont ils ont besoin. Mais ça ne dur qu'un temps. Le temps de l'échange. Puis, tu retournes à ta pathétique petite vie. Tu retournes t'enfoncer une seringue dans le bras. Et attendre... Attendre que ton heure vienne enfin. En vain...
Parce que tu n’as ta place nulle part.
Parce que tu n’es personne.
Même la mort ne semble pas vouloir de toi.
Elle l'a prit lui, mais pas toi.
T'aurais voulu que ce soit toi.
Ça aurait du être toi.
Parce que t'as tapé le premier.
Mais la mort, elle veut pas de toi. Elle non plus...
T’es juste celui qu’on paie pour se défoncer.
Un petit revendeur. Le mec qui ne parle pas, celui qu’on oublie, celui à qui on ne fait pas attention. Un revendeur parmi tant d’autres.
Un parasite.
Personne.